Le miel et les substances issues de la ruche séduisent de plus en plus les Français au même titre que les produits « naturels » et « bio » qui fleurissent dans les rayons des magasins. Ces produits très prisés sont en effet réputés bons pour la santé. En France, la consommation annuelle moyenne de miel par personne est d’environ 600 grammes.
Cependant, le miel est potentiellement allergénique. Il contient de nombreuses substances liées au butinage des fleurs par les abeilles : des pollens, du propolis, des composants dérivés des abeilles (enzymes présentes dans les sécrétions des glandes salivaires et pharyngées, cire, produits de desquamation), des fèces de pucerons (miellat). Ce sont les protéines de pollen qui représentent les principaux allergènes impliqués dans l’allergie au miel. Selon son origine, dix grammes de miel renferment entre 0,26 et 1,3 mg de pollens, ce qui représente environ 20.000 à 100.000 grains.
En 2018, à la suite du signalement de plusieurs cas d’allergie sévère après consommation de compléments alimentaires contenant des produits de la ruche (gelée royale, propolis) et des pollens, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) a rappelé que les personnes allergiques aux pollens peuvent potentiellement présenter un risque d’allergies lors de consommation d’aliments et de compléments alimentaires à base de produits de la ruche.
Comme l’indiquent les allergologues Guy Dutau et François Lavaud dans le numéro de novembre 2019 de la Revue Française d’Allergologie, le premier cas indiscutable d’allergie alimentaire au miel a été rapporté en France, en 1984, chez un apiculteur âgé de 42 ans. Celui-ci était également atteint d’allergie au pollen des plantes composées (armoise, camomille, pissenlit). D’autres allergologues français ont décrit en 1989 le cas d’un homme de 50 ans ayant développé une violente réaction allergique (anaphylaxie aiguë) quelques minutes après avoir ingéré du miel de tournesol. Quelques années plus tôt, ce patient avait présenté une allergie orale au céleri. Par la suite, des observations cliniques isolées d’allergie au miel et de petites séries de cas ont été publiées dans la littérature médicale internationale. Il s’agissait d’adultes âgés de 22 à 68 ans.
Des symptômes bénins à graves
Les symptômes de l’allergie alimentaire au miel sont variés : urticaire généralisée, urticaire et angio-œdème (œdème du derme profond et des tissus sous-cutanés), urticaire et rhinite, angio-œdème au niveau des muqueuses oropharyngées ou des lèvres (syndrome oral), douleurs abdominales et/ou diarrhée, asthme, anaphylaxie aiguë (réaction allergique soudaine et sévère). Le diagnostic d’allergie alimentaire au miel repose sur l’histoire clinique du patient et la réalisation de tests cutanés avec le produit incriminé, le dosage des anticorps sanguins IgE spécifiques n’étant pas toujours informatif.
Il convient de souligner que la France importe près de trois-quarts des miels consommés, soit environ 30.000 tonnes par an. Du fait de la mondialisation du marché, l’origine des miels est très diverse.
Dans la littérature médicale internationale, on dénombre une vingtaine de cas d’allergie à la gelée royale (consommée partout dans le monde, mais surtout en Asie et en particulier au Japon). En règle générale, les symptômes sont graves. Les patients à risque d’allergie alimentaire à la gelée royale sont les personnes allergiques aux venins d’abeille et surtout les sujets atopiques (présentant une prédisposition génétique au développement de plusieurs allergies).
Amateur de rosée matinale
De rares cas d’allergie ont été rapportés par des allergologues français et espagnols après ingestion de pelotes de pollens. Ces agglomérats de grains de pollens, que les abeilles transportent entre leurs pattes jusqu’à la ruche, sont consommés pour leurs vertus tonifiantes.
Néanmoins, il semble qu’aucun cas d’allergie alimentaire n’ait encore été rapporté avec la propolis, matière visqueuse fabriquée par les abeilles à partir de leurs sécrétions et d’une série de substances résineuses, recueillies sur certaines parties de végétaux. Cette résine, d’une couleur allant du jaune-clair au brun très foncé, est transportée par l’abeille puis modifiée par l’apport de cire et de sécrétions salivaires de l’insecte. Des cas d’allergie cutanée (dermatose de contact) ont en revanche été rapportés dans un cadre professionnel, la propolis étant de plus en plus utilisée en cosmétique bio et dans certaines préparations médicinales.
En 2003, des allergologues turcs ont décrit le cas d’un homme de 49 ans qui, atteint de rhinite et d’asthme allergique (acariens et divers pollens), présentait également une allergie alimentaire au miel. Il avait la curieuse habitude de boire la rosée matinale accumulée dans des pétales de roses, jusqu’au jour où il a présenté un jour une anaphylaxie.
Il arrive aussi aux amateurs de produits diététiques de consommer directement des gâteaux ou des rayons de miel. De saveur sucrée, ces motifs sont construits par les abeilles pour y déposer le miel. Dans la mesure où ces structures contiennent des pollens, du miel et des allergènes d’abeille, ils pourraient présenter un risque allergique même si aucun cas n’a été décrit à ce jour.
Prévoir le risque allergique selon le miel
Afin de mieux appréhender le potentiel allergisant des miels de diverses origines, un nouveau procédé (allergomélissopalynologie) a été développé récemment. Cet outil, conçu par Claude Nonotte-Varly, allergologue au Centre hospitalier général de Hyères (Var), a permis d’étudier 226 échantillons de miels du monde, provenant des plantes mellifères* et non mellifères** et englobant les différentes caractéristiques des produits commercialisés sur le marché français.
Au total, les miels des principaux producteurs et exportateurs mondiaux ont été analysés dans l’étude conduite par cet allergologue. Ceux-ci provenaient d’Europe (Espagne, Italie, Portugal,Hongrie), d’Amérique centrale et du sud (Mexique, Argentine, Chili), d’Europe de l’Est et du Moyen Orient (Ukraine, Turquie) ou d’Asie (par le biais des miels « hors EU »). En 2016, 31.000 tonnes de miel ont été importées en France notamment de Chine, d’Espagne, d’Ukraine ou encore d’Amérique du Sud, contre 9.000 tonnes de production nationale.
Différents miels monofloraux (lavande, tournesol, colza, etc.) ou polyfloraux d’origine française ont également été testés, de même que des miels des DOM-TOM ainsi que ceux du Maghreb, du Yémen, du Pakistan, du Kenya, du Burkina Faso. L’analyse montre que « 95 % des miels provenant de toutes les parties du monde comportent des pollens allergéniques mais à l’état de traces 7 fois sur 10 ».
Plus d’allergènes dans le miel de tournesol
Concernant les pollens allergéniques provenant de plantes mellifères, l’étude révèle que seul le tournesol en renferme des pourcentages très élevés. « Le miel monofloral de tournesol compte 80 % ou plus de pollens allergéniques ». Par ailleurs, de nombreux miels, notamment d’assemblage, comportent du pollen de tournesol. Dans le monde, le tournesol est en effet une ressource apicole particulièrement abondante. Enfin, concernant les miels provenant des plantes non mellifères, l’étude montre que, parmi les pollens contenus dans le miel, « les pollens d’armoise, de graminées, d’olivier et de chêne sont des pollens allergéniques dont la proportion peut dépasser 25 %, voire 50 % du total des pollens d’un miel ».
Au total, les résultats de cette étude peuvent sans doute contribuer à mieux évaluer le risque allergique de certains miels chez les personnes les plus susceptibles de développer une réaction, notamment celles souffrant d’allergies polliniques.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)
* On dit d’une plante qu’elle est mellifère lorsqu’elle sécrète du nectar. Les plantes mellifères sont celles dont les produits sont exploitées par l’apiculture.
* Les plantes non mellifères sont le chêne, l’olivier, les graminées, le plantain, l’armoise et le chénopode.
Pour en savoir plus :
Dutau G, Lavaud F. Le miel et les produits de la ruche. Des « produits naturels » auxquels on peut être allergique ! Rev Fr Allergol. 2019 Nov;59(7):459-462. doi : 10.1016/j.reval.2019.10.001
Nonotte-Varly C. Les pollens à potentiel allergénique des miels du monde. Intérêt d’un nouveau procédé : l’allergomélissopalynologie. Rev Fr Allergol. 2019 Nov;59(7):493-499. doi: 10.1016/j.reval.2019.03.006